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Depuis le stage exceptionnel qui s'est déroulé à Brunei fin 2015, la communauté facebook peut régulièrement voir des vidéos présentant le travail du tarikan tenaga, enseigné notamment dans le silat brunéien et plus spécifiquement au sein du Silat Betawi Tiga ( https://www.youtube.com/watch?v=L71wzqKkHk4) . Il s’agit d’un travail que je qualifierais de « musculo-énergétique » sur la structure corporelle du combattant. Comme souvent, la vidéo ne transmet pas grand chose. Au pire, on peut y voir un numéro de cirque, au mieux un endurcissement identique à ceux que l'on trouve dans beaucoup de disciplines martiales.

Afin d'apporter davantage de précisions, je me permets de partager l’expérience vécue lors de la découverte de ce travail qui constitue, à mon sens, l'une des bases fondamentales des silat de Bruneï. L'évolution de mon point de vue sera relatée chronologiquement. Qu'il soit évident, avant de commencer, qu'il s'agit d'un avis totalement personnel.

A la base, mon approche de ce type de travail était assez hybride. J'avais pratiqué le Qi Gong pendant plusieurs années ( avec notamment différentes variantes du Ba Duan Jin, enchainement qui à l'origine servait aussi à « renforcer » le corps des soldats du général Yue Fei au 12 ème siècle), mais également poussé assez loin le travail du conditionnement découvert dans mon premier club de silat (l'Académie Kuil Kesetiaan) puis plus tard au sein du système Charles Joussot. Comme beaucoup, j'avais quelques petites approches théoriques de ce qui existe dans d'autres disciplines martiales, mais rien de suffisamment poussé pour pouvoir vraiment connaître le sujet. Le concept « d'énergie » ne m'était pas non plus indifférent. Après 2 années de Shiatsu, j'avais étudié la médecine traditionnelle chinoise pendant 6 ans et l'avais exercée pendant 3 ans. Enfin, en tant que professeur de danse, mon approche du travail sur la structure corporelle est quasi permanente dans mon quotidien. Des connaissances certaines en somme, mais non exhaustives.

La première fois que j'ai découvert ce travail, c'était sur vidéo. Pour être honnête, je n'y ai pas vu grand chose : un gars immobile se faisait taper dessus avec des frappes que je ne trouvais pas de grande qualité. Je me suis dit : « mouais....je connais déjà...rien de très neuf.. ». L'ignorance du débutant...

Arrive enfin le premier contact. Après une journée de stage sous une chaleur étouffante et 2 heures de cours nocturnes de silat Cakak Asli, découvrir une démonstration du Silat Betawi Tiga va nous permettre de reposer les jambes ! Nous nous asseyons donc à même le sol en formant un demi cercle. Les 2 pratiquants ( Guru Utama Ramlan Hj Lamit et un de ses enseignants) ont un physique normal. L'un est plutôt petit, trapu, mais me semble robuste (ses avants bras et ses mains ressemblent à celles d'un agriculteur!) L'autre vraiment lambda, ni mince ni costaud. Ils commencent à s'échanger différentes frappes sans broncher. Déjà, une première chose change par rapport à la vidéo : il est évident qu'il ne font pas semblant ! Je peux sentir la puissance des impacts. Je ne pourrais dire s’ils sont à 100% mais les coups sont donnés avec « générosité ». Ma première impression ? Je n'aurais probablement pas été si robuste à leur place. Mais bon, rien de plus. On propose à l'un de mes amis de frapper ( Shawn, un très solide gaillard plus que compétant en matière martiale qui doit clairement dépasser les 100 kg de muscles) Il y va. Il y va fort. Rien. Le « petit » gars ne bouge pas, il rit même. Puis l'on me propose de frapper à mon tour. Ah… là cela devient intriguant. De nature sincère, je me dis que je vais y aller lourdement ! On me commande un direct dans la poitrine. J'y vais plusieurs fois en augmentant la puissance. J'ai l'impression de cogner dans un sac de frappe très dense avec un cuir épais. Lui, il sourit ! Cette démonstration en restera là. La robustesse me surprend, je dois l'avouer. Après, je ne vois à cet instant rien de très enrichissant, pour la simple et bonne raison qu'à plusieurs reprises dans mon parcours martial, j'ai déjà rencontré de très solides pratiquants, qui sans entrainement spécifique m'avaient donné cette sensation.

Bref, encore une fois je ne regarde que le doigt...

Le lendemain, nous avons une démonstration beaucoup plus grande. Une fois encore nous sommes réunis en demi-cercle. Une chose m'interpelle : l'extrême jeunesse des élèves ! La première demoiselle qui s'approche doit avoir dans les 13/14 ans et semble frêle. Avec une légèreté troublante, elle prend une position basse et reçoit sans bouger plusieurs low-kicks. Rien. Pas d'expression particulière, pas de crispation, pas de grimaces. Vraiment rien. L'attention de tous est au maximum. Cette petite qui vient avec une simplicité déconcertante d'encaisser sans broncher les coups d'un adulte fige nos yeux grand ouverts. Dès lors, la démonstration va de surprise en surprise. Un jeune homme, à peine plus âgé que la demoiselle, encaisse sur les avants bras des coups de bâtons, un autre dans le dos, dans les jambes, puis viennent d'autres robustes en action : coups dans la nuque, le ventre, les tibias, les épaules, le visage, la gorge... Les frappes pleuvent, sont de plus en plus puissantes, les bâtons changent de densité, se brisent parfois, les postures sont extrêmement stables. Et, détail important, à aucun moment la douleur ne se lit sur les visages ! On nous annonce que nous allons apprendre ce travail. Une certaine appréhension règne. En 20 minutes, cette démonstration sans folklore nous a présenté des pratiquants très solides. Solides dans leur frappes, solides sur leurs appuis et solides psychologiquement. Je suis vraiment intrigué par la méthode.

Je commence à apercevoir l'ombre de la lune...

Nous travaillons sur la posture, la respiration, la confiance. Nous commençons, petit à petit et avec beaucoup d'intelligence dans la pédagogie, à comprendre que ce travail se fait par étape. Il change notre perception du silat, de ses postures, de ses frappes, de ses stratégies de combat. L'entrainement est rude mais nous sentons tous que quelque chose se produit. Nous sommes en train de comprendre une étape essentielle. Nous regardons la lune ! Plusieurs mois ont passés depuis. Après près de 30 ans de pratique martiale, je refonde totalement certains points de vue sur le fond et la forme. Le tarikan tenaga est pour moi un travail fondamental qui transforme petit à petit l'esprit et le corps. En Silat Suffian Bela Diri, nous mettons un accent particulier sur le déplacement, les points de référence, la lecture de la structure corporelle de l'adversaire et le conditionnement de notre propre structure. Le tarikan amène énormément de réalisme dans l'entrainement. Car, comme nous le savons tous, en pratique, être robuste n'est pas un luxe. Savoir prendre l'ascendant psychologique en encaissant les coups sans broncher si nous n'avons pas le choix est un sacré plus. Les frappes deviennent beaucoup plus puissantes, la confiance s'installe car vous savez, et c'est essentiel, comment votre corps réagit à l'impact. Une fois encore, il est bon de fuir le confort, de se mettre en difficulté, de rester l'esprit ouvert et, lorsque le sage nous montre la lune, de ne pas regarder le doigt !

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